4e et dernier extrait de l’interview d’Emmanuelle Béguinot, directrice du Comité National contre le Tabagisme (CNCT). Cette fois, nous parlons de la consommation de cigarettes en France et des différentes techniques de sevrage tabagique dont la e-cigarette. Alors, faut-il lui faire confiance ?
.
Depuis 2005, la consommation de tabac en France a augmenté …
.
Pire, elle a cessé de baisser
Il y avait eu une diminution grâce à des mesures politiques fortes comme la loi Evin ou le 1e Plan Cancer sous Jacques Chirac.
Ce Plan Cancer avait notamment été marqué par de fortes hausses des taxes, la mise en place de l’interdiction de fumer dans les lieux publics et les lieux de travail et de larges avertissements sanitaires mentionnant “Fumer tue”.
.
Depuis, il n’y a eu que des mesures ponctuelles
Mesure qui ont laissé une place très large à l’industrie du tabac …
Certes, il y a eu des augmentations du prix des paquets mais elles étaient trop faibles. La conséquence, c’est que cela a permis une hausse des taxes et une augmentation des marges des buralistes et des fabricants mais que ça n’a pas freiné la consommation, au contraire.
.
Une situation préoccupante chez les jeunes et les femmes
Pour ces deux catégories de personnes, la mortalité attribuable au tabac progresse de manière très importante. Les femmes développent les mêmes maladies que les hommes, voire ont des risques supplémentaires.
D’ici peu, la mortalité par cancer du poumon va dépasser celle par cancer du sein chez la femme.
.
À quoi est due cette augmentation ?
.
Un marketing agressif
La hausse de la consommation chez les femmes est le résultat direct du marketing qu’on fait les industriels du tabac à leur attention. Ils ont commencé à faire croire que la cigarette leur permettrait d’être libérées, d’être plus sexy et ça a marché …
Ce marketing est toujours utilisé aujourd’hui dans des pays où la cigarette n’est pas encore trop implantée. C’est pour ça qu’il est urgent d’agir au niveau international pour enrayer le développement du tabagisme.
.
L’absence de politique volontariste
Certains pays ont mis en place les bonnes mesures et sont parvenus à faire baisser la consommation de tabac. On évoque souvent des pays comme l’Australie, le Canada, le Royaume-Uni qui ont réduit fortement la consommation et qui ont aujourd’hui des pourcentages faibles de fumeurs. Il y a aussi la Turquie, la Thaïlande ou le Brésil. À nous maintenant de mettre en place une politique volontariste et dans le temps.
En plus, on sait que la prise en charge du traitement de la dépendance est le 2e traitement en terme de coût/efficacité après les vaccinations infantiles. En d’autres termes, quand on lutte contre le tabac et qu’on met en place les bonnes mesures, c’est extrêmement rentable. Les économistes qui ont travaillé sur cette dimension financière ont établi que pour 1€ investi dans des mesures de prévention contre le tabagisme, on gagne 60€. Quand on sait aujourd’hui que, chaque jour, l’État perd 40 millions d’euros à cause du tabac*, il faudrait peut-être bien réfléchir aux choix que l’on fait tant sanitaires que budgétaires !
* ndlr : une étude parue le 11 septembre 2016 annonce que les pertes ne s’élèvent pas à 40 millions d’euros mais à 120 milliards ! Vous pouvez la consulter ici.
.
Les autorités sanitaires rechignent à intégrer la e-cigarette dans la liste officielle des outils d’aide à l’arrêt du tabac. Pourtant elle a beaucoup d’avantages (sevrages nombreux et réussis, nocivité infiniment moindre, source de croissance). Pourquoi ?
.
Il y a plusieurs choses qu’il faut prendre en compte.
.
Différencier réduction des risques et arrêt du tabac
Quand on est fumeur et qu’on arrête de fumer en passant à la e-cigarette, on est dans une réduction de risques très importante, c’est bien. Mais il ne faut pas que ça dissuade les fumeurs d’arrêter complètement la consommation de ces produits. Nous n’avons pas encore la connaissance des effets à long terme de la e-cigarette et c’est toujours mieux de ne rien consommer du tout (la nicotine compte parmi les drogues les plus puissantes).
.
Avoir conscience des risques liées à la double consommation
Le message par rapport aux risques encourus à fumer n’est pas très clair pour les fumeurs. Souvent, ils pensent prendre moins de risques en réduisant leur consommation de cigarettes et en vapotant en parallèle. Mais c’est faux.
Les risques liés au tabac en terme de cancer sont essentiellement des risques liés à une durée d’exposition. Même pour une consommation limitée mais sur plusieurs années, vous risquez de développer un cancer attribuable au tabac. Les risques cardiovasculaires, eux, surviennent très rapidement. Y compris avec de très faibles consommations. Donc si vous vapotez et que vous fumez toujours quelques cigarettes en parallèle, vous prenez toujours des risques en terme cardiovasculaire et en terme de cancer.
.
Veiller à un non élargissement de l’offre des industriels du tabac
Ils sont tous en train de lancer leur cigarette électronique. Mais quelle est leur stratégie ? S’en servir pour faire commencer les jeunes et les faire passer ensuite sur la vraie cigarette ?
Même si aujourd’hui le nombre de jeunes qui commencent à fumer avec la cigarette électronique est faible, c’est déjà trop. En tout état de cause, il faut éviter que cela se développe et encadrer ces stratégies. On a vu des publicités pour la cigarette électronique qui étaient des copies conformes de publicités pour la cigarette. Il faut être vigilant.
.
Que pensez-vous des méthodes alternatives : hypnose, acupuncture, sophrologie ?
.
Penser global
Je ne suis pas une spécialiste du sevrage tabagique. On sait que c’est difficile d’arrêter de fumer donc quand il y a une prise en charge, elle doit être pensée de façon globale et prendre en compte la gestion du manque, du stress, de la compensation, de la prise de poids, etc. Tout ça doit se faire au cas par cas.
Personnellement, je pense qu’il y a des traitements qui ont été validés de manière rigoureuse et ce sont eux qui doivent être abordés en première intention.
.
Être vigilant
Les méthodes alternatives peuvent être efficaces pour certains. Il faut juste être vigilant.
Beaucoup de fumeurs sont en effet dans une situation de détresse par rapport à l’arrêt et peuvent se laisser tenter par des personnes malhonnêtes.
.
Nous militons pour la prise en charge
Au CNCT, nous soutenons le sevrage de manière générale et sa prise en charge. Nous militons notamment pour que les méthodes de sevrage tabagique soient remboursées par la sécurité sociale.
Plusieurs études ainsi que l’expérience d’autres pays, ont montré que la prise en charge du traitement de la dépendance au tabac permet de faire arrêter les fumeurs. Elle a un impact rapide et très positif sur leur santé. Et elle améliore également les comptes de l’assurance maladie.
Actuellement, on est souvent dans une situation où seuls les médicaments qui traitent les symptômes des maladies sont pris en charge. Dans le cas de la BPCO (Broncho Pneumopathie Chronique Obstructive) par exemple, le meilleur des traitements est d’arrêter de fumer. Mais seuls sont remboursés les médicaments qui facilitent la respiration … Et malheureusement, ils n’empêchent pas la maladie d’évoluer.
A bientôt pour une nouvelle interview !
No Comments